Roger Mennillo le 4 janvier 2013

Interview réalisée par Jazz en Provence le samedi 4 janvier 2014 à Saint-Cannat interview_roger_mennillo_1


JeP
: Bonjour Roger Mennillo. Merci de nous accueillir chez vous à Saint Cannat et permettez-moi tout d’abord de vous présenter les voeux de toute l’équipe de Jazz en Provence.
Nos lecteur peuvent consulter votre biographie, qui est très fournie, dans la rubrique Musiciens. Mais nous allons commencer si vous voulez bien par une première question qui n’y figure pas : où êtes-vous né ?

R.M. : A Marseille ! Je suis marseillais et je le revendique, quoi qu’on en dise. Pour préparer un avenir il faut aller à Paris et je n’ai jamais voulu y aller. Une fois Georges Arvanitas (ndlr : pianiste marseillais 1931-2005) m’a dit “Qu’est-ce que tu fiches encore ici ?”. Je lui ai répondu que j’étais “chez moi” !

Evidemment je suis “sorti” un peu pour faire des choses en musique mais je suis vite revenu ici. Vous savez, la musique elle ne fait pas vivre son homme. Il faut se déplacer, tourner le dos à la famille, s’en aller. Je suis d’origine italienne, je tiens à la famille. Avec deux enfants en bas âge je n’allais pas partir à Paris pour attendre mon tour. Je vous parle de quarante ans en arrière.

Donc je suis resté à Marseille puis je suis “monté” à Saint Cannat il y a dix-sept ans. Mais à Marseille je n’ai rien fait pour l’association. On me connaissait, je jouais par-ci par-là, j’ai eu des groupes et puis après j’ai enseigné, un peu malgré moi.


JeP
: Quels sont vos premiers souvenirs musicaux ?

R.M. : J’ai découvert la musique par des chansonnettes italiennes. Je suis né à Marseille mais mes deux frêres en Italie. J’ai donc entendu les chansons italiennes, l’opéra que ma mère fredonnait et mon père qui jouait du piano en rentrant le soir.


JeP
: Quel a été votre premier contact avec le jazz ?

Ce qui a été important pour moi c’est d’écouter les musiques américaines qui passaient sur les ondes durant la guerre. J’écoutais beaucoup les grands orchestres et surtout ce qui se passait derrière, harmoniquement. J’allais ensuite reproduire sur un piano. C’est là où je me suis formé tout seul. J’étais un peu le mouton noir de la famille !
Je ne savais pas que cela s’appelait “Jazz” à l’époque mais j’ai adhéré complètement et je me suis rendu compte que j’avais l’oreille pour reproduire les morceaux mais aussi que ce n’était pas terminé, qu’il fallait mettre l’harmonie dessus.

Je suis donc autodidacte à cent pour cent. Qui donnait des cours de jazz à l’époque ? Personne ! Il fallait se faire tout seul. Tous les grands se sont fait tout seul. Après ils ont peut-être pris des cours mais au débuts il fallait se débrouiller.

Maintenant tout est écrit mais il faut comprendre qu’à l’époque il n’y avait rien d’écrit en Jazz J’avais juste une partition dans l’édition de Chapelle où il y avait quelques rares morceaux de jazz, deux ou trois sur les cinquante au total. Il y en avait qui me plaisaient et je suis arrivé à les déchiffrer.
Ensuite j’ai écrit des partitions moi-même. J’écoutait les morceaux de Charlie Parker et je les écrivait. Et je devais tout harmoniser. C’est ça cette musique. Il fallait être dedans.
J’ai compris jeune, sans vraiment le comprendre, qu’il fallait que j’aille de l’avant.
Et finalement je suis arrivé à déchiffrer des accords sur le piano.

Ensuite j’ai beaucoup écouté les improvisations, je me disais “que fait-il, par où il passe ?”, et j’ai compris qu’il y avait des gammes symétriques diminuées, des gammes pentatoniques, etc. Je n’ai su que plus tard quelle nom elles avaient. Mais je peux dire que j’ai tout découvert par moi-même. Je n’ai jamais fait référence à des bouquins.
Après il y sûrement des bouquins mais le niveau était trop élevé. Si vous lisez dans un livre harmonique sans disséquer ce que vous lisez, vous ne comprenez pas. Par exemple les modes, dorien, phrygien, etc. cela sert à quoi ? Moi j’ai tout remué dans tous les sens pour comprendre.

Ca c’est fait comme ça, petit à petit, et je me suis rendu compte que c’était un monde la musique. C’était magnifique ! C’était jouissif. Je ne savais pas beaucoup jouer à l’époque mais j’avais pas mal de choses en tête et au fur et à mesure que j’apprenais, en l’exprimant, je découvrais des choses et il y a des choses qui se découvraient à moi. Chaque fois je levais un voile. Je le sens et je vous en parle comme si j’y étais encore ! Vous ne pouvez pas vous imaginer comme c’est beau, magnifique.

Donc je me suis lancé là-dedans à corps perdu. J’étais à l’école des ingérieurs de Saint Barnabé et je taillais l’école pour aller jouer dans le bar du coin où il y avait un piano. C’est fou cette passion, que j’ai encore, qui est toujours vivante en moi. L’âge n’y a rien fait, la passion est restée.


JeP
: Vos parents écoutaient plutôt du classique et de l’opéra. Cela vous a-t-il également influencé pour la suite ?

R.M. : J’avais une voix et mes parents quand j’étais jeune n’ont pas réussi à me faire rentrer au conservatoire. Il a fallu que je sois marié pour aller au conservatoire où j’ai fait dix ans en parallèle. Mais je ne faisais pas beaucoup de piano. J’étais toujours habité par cette musique, le jazz. C’est là que j’ai appris aussi comment une partition était fabriquée. Cela m’a beaucoup apporté, notamment dans les nuances. Dans le jazz s’il n’y a pas de lyrisme ce n’est pas bon.


JeP
: Vous avez été diplômé en chant et lyrique. Le chant jazz ne vous a jamais tenté ?

R.M. : Je ne pouvais plus. Au conservatoire on ne posait pas la voix, on la travaillait. Cela veut dire que tout en conservant le timbre, la voix est transformée pour avoir du volume, avoir des nuances. Et on ne peux pas revenir en arrière, chanter du jazz avec une voix lyrique. Enfin, on peux toujours chanter mais ce n’est pas vraiment ça.

Personnellement j’estime que poser la voix pour des élèves c’est important mais pas la travailler en faisant des vocalises. Pour faire des vocalises il faut avoir la voix placée. Je ne fais pas travailler de vocalise mais de la pose de voix, pour garder la voix naturelle. Et ça ce n’est facile pour quelqu’un qui ne travaille pas sa voix. Il faut qu’il garde sa voix naturelle pour chanter du jazz.
Quand on a travaillé la voix pour chanter de l’opéra cela va tout seul, on a du volume, des nuances. Mais pour chanter du jazz en faisant des nuances en gardant sa voix naturelle et sans tricher (parce qu’il y en a beaucoup qui trichent) ça c’est autre chose.


JeP
: Comment vous définissez-vous en tant que pianiste ?

R.M. : Atypique ! Parce que je suis à cent pour cent moi-même. Je vaux ce que je vaux mais je suis atypique. Certains me disent “on reconnait Roger quand il joue”. Je tiens à ça et je me suis toujours défendu d’aller acheter dans les magasins de musique des chorus tout fait. La musique de jazz c’est comme quelqu’un qui apprend à marcher. Il tombe, se relève.
Et c’est aussi ce que je dis à tout le monde. Si vous devez aller acheter de la musique ce n’est pas maintenant. C’est quand vous aurez une certaine formation pour aller comparer ce que qui est noté dans des phrasés par rapport à ce que vous faites.

J’étais pendant plus de vingt-cinq ans jury au conservatoire et on avait l’impression que les élèves étaient derrière un rideau et qu’ils jouaient tous pareils. Ils ont une technique phénoménale c’est sûr mais au conservatoire, on démarrait l’enseignement à partir de Charlie Parker. Je disais à Guy Longnon que l’école du piano c’est le stride. Il me répondait : “Si je leur apprends le stride, il n’y a plus personne !”. Parce que le stride, vous savez, c’est quelque chose pour le piano !

On en trouve dans le Ragtime qui est une musique écrite. C’est Scott Joplin qui a commencé et d’ailleurs on lui en a voulu quand il est venu en Europe apprendre l’écriture car il allait contre la tradition orale. Mais le Ragtime c’est très bien écrit.
Quelqu’un m’a dit un jour qu’il voulait apprendre le Ragtime. Je lui ai répondu que cela ne s’apprenait pas, c’est une musique écrite. Mais le stride en créativité c’est autre chose.


JeP
: Vous éducation musicale s’est faite avec un jazz plutôt classique et pourtant vos compositions sont résolument modernes. Comment l’expliquez-vous ?

RM : Il y a un côté évolution dans la musique. Je reste fidèle à ce qui s’est fait avant. J’aime bien jouer tous les standards d’avant. Cela ne veut pas dire que je les joue bien mais je les joue parce que ce sont les racines du Jazz. Même ceux qui arrivent à jouer moderne, comme MacCoy Tyner, ont tout appris depuis le début. On le sent dans leur jeu. On entend très bien un pianiste qui n’a commencé qu’à partir de Charlie Parker.
Donc même si on ne le fait pas au conservatoire il faut le faire par soi-même. Il faut prendre les standards de Gelly Roll Morton et des autres et les écouter. Quand vous jouez “On the sunny side of the street” il y a du stride. MacCoy Tyner il fait du stride et tous connaissent le stride, Chic Corea, Herbie Hancok, Kenny Baron, il sont tous passés par là.

Cette modernité elle vient depuis le début, c’est évolutif. On écoute. Quand vous êtes sur un piano cela réclame une créativité différente et évolutive. Les harmoniques sont beaucoup plus sophistiquées, on cherche d’autres sonorités. C’est à partir des sonorités que j’ai composé des thèmes qui paraissent modernes mais si on les découpe rythmiquement sans les notes on sent que cela ressemble à ce qu’il y avait avant. Ce que je concevait rythmiquement pouvait ressembler parfois à du New-Orleans. Ce sont les notes et la sonorités qui diffèrent. Et pour ça l’harmonie m’a beaucoup aidé pour franchir des étapes à mettre sur ce que je concevait rythmiquement.
Mais rythmiquement cela reste ce que cela doit être en matière de jazz. Je ne dis pas “essence même”, c’est un grand mot prononcé par moi, mais quand même l’essence rythmique du jazz est là.

Le jazz c’est rythmique avant tout. On peut exposer un thème comme on veut, même de façon très moderne mais à un moment il faut qu’il y ait le swing.

Il y a quelques années je jouais en première partir de Kenny Baron qui jouait avec Ray Drummond. A un moment Ray a demandé à Christiane qui écoutait comme sprectatrice de qui étaient les morceaux. Elle lui a répondu que c’étaient les morceaux du pianiste. Il alors dit : “Je veux jouer ces morceaux !”. Et comme l’année suivante Kenny Baron est revenu pour jouer, nous avons joué en duo avec Ray Drummond trois de mes compositions. Et Ray a dit alors durant une interview : “Je m’avancerai à dire que ces morceaux seront des classiques dans cinquante ans.”.


JeP
: Quelle vision avez-vous du jazz moderne que l’on entend aujourd’hui ?

R.M. : Je suis pour l’exposé d’un thème très moderne mais il faut que cela swingue ! On peut aller dans des tas de méandres mais si cela ne swingue pas ce n’est pas du jazz. Il y a des musique que l’on entend qui sont très bien au demeurant. On sent que le musicien a cherché mais il n’y a pas la racine.
Les racines peuvent être évolutives mais il doit y avoir ce mouvement, ce swing.


JeP
: Et l’apport des musiques du mondes dans le Jazz ?

R.M. : Cela peut se faire mais il faut que le jazz reste le jazz. Le latin, l’afro, les différents folklores, pourquoi pas, mais avec les racines. Souvent ce qu’on entend c’est plus de l’expérimentation, faite avec le cerveau plut que dans le coeur, de la musique sans sentiment. C’est bien mais l’essence même n’y est pas.

Dans le chant c’est pareil. J’ai entendu une récemment une chanteuse renommée qui allait vers la world music et je trouve ça dommage car le Jazz est en train de s’effriter de cette manière. Cela vient aussi du fait qu’il n’y plus de chefs de file comme Coltrane ou Parker. Il reste Sonny Rollins…
Ce n’est pas que je sois sectaire, je suis aussi pour les musique modernes. C’est bien que le jazz parte dans toutes les voies car toutes les voies ne seront pas prises. Mais il faut que l’essence reste.


JeP
: Quel enseignant êtes-vous ?

R.M. : Au départ je ne voulais pas enseigner mais quand je l’ai fait j’ai transmis ma passion. Parce que si l’on a pas la passion on ne peut pas enseigner. Certains me disaient “comment Roger, tu te rends compte, ça fait trente ans que tu fais ça !”. Mais j’aime enseigner et les élèves m’ont énormément apporté, j’ai appris énormément. C’est égoïste mais aussi altruiste. On a besoin de voir le résultat chez l’autre.

J’apprends aux élèves la justesse, la mise en place, les intros par exemple. Si l’on dit à un pianiste “8 mesures d’intro”, il faut qu’il sache le faire. Il faut faire bien comprendre les notions binaires et ternaires, introduire la notion ternaire dans le mouvement à quatre temps, être imprégné de ce qu’est cette musique. Ensuite il y a l’harmonisation à partir des accords de référence et comment on arrive à créer un étagement d’accord qui se situent entre les accords de référence.

Le Jazz ce n’est pas une partition écrite, ce n’est pas une musique facile. Il n’y a que la musique et l’harmonie. Pour enseigner il faut voir les possibilités qu’un pianiste, un musicien peuvent avoir et aller dans son sens sans contrarier. Il faut avoir les mots pour mettre les gens en confiance.
Il faut être en confiance et pour cela on ne peut pas dire “voilà comment tu dois faire”. Il faut aider les élèves au maximum. Pour moi l’enseignement c’est ça, aider les élèves à réaliser quelque chose. C’est aussi important que ce que l’on enseigne.

Je me rappelle de Guy Longnon au conservatoire. Il était là, il y avait des musiciens qui jouaient et d’autres qui attendaient, qui pouvaient venir parfois quelques mois sans jouer. Et Guy ne disait pas un mot. A un moment donné il disait quelque chose. Et à partir de quelque chose de précis qu’il avait dit tout, un seul mot parfois, tout changeait, tout était transformé, y compris l’esprit des musiciens.

On peut pas apprendre à quelqu’un à improviser. Vous allez lui dire quoi, toutes les notes qu’il doit jouer ? Il faut consider l’elève comme un artiste, c’est important. “Même si tu n’es pas un artiste, considère-toi comme tel”. Et là parfois tout change car le musiciens était complètement “rentré” et le fait de le lui dire change son attitude et tout est plus clair.


JeP
: Quels conseils donnez-vous aux jeunes pianistes et musiciens en général ?

R.M. : Commencer par le début. Quand on est classique il faut jouer du ragtime écrit et petit à petit venir au jazz, savoir comment c’est fait, connaître l’écriture verticale, harmonique. Partir de là.
Parce que le jazz c’est quelque chose de créatif, à partir d’un certain écrit.

Ensuite, en musique il faut se rendre compte de ce que l’on doit faire à un moment donné. Il faut arriver à se situer, se demander où l’on en est. C’est ce que je dis aux élèves : il faut se rendre compte de ce qu’il faut faire pour le faire. Quand on arrive à tenir cela, à savoir ce qu’il faut faire, même sans arriver à le faire au début, on essaye des trucs, on est dessus depuis un mois sans y arriver et le 31 ème jour on le fait. C’est un exemple bien sûr.

Il faut aussi arriver à connaître ses possibilités, se connaître soi-même. J’entends par là se connaître dans la musique. Dans la journée on peut avoir le caractère que l’on veut mais dans la musique il faut connaître ses limites.
Moi cela m’est arrivé à un certain moment de déborder. J’avais pris un jour une musique de Winton Kelly et j’ai écrit tout son chorus, non pas pour l’imiter mais pour savoir exactement ce qu’il faisait. Je me suis rendu compte que sans vouloir imiter son chorus mais en essayant de l’approcher, je n’y arrivais pas. Je me souviens très bien qu’ensuite j’ai essayé de faire exactement de refaire son chorus, avec les mêmes notes, cela ne marchait pas. Je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas aller plus loin. Quand vous commencez à dépasser vos limites cela ne va pas.


JeP
: Quelle musique vous fait danser ?

R.M. : Normalement toutes les musiques font danser. Au début les gens dansaient sur le jazz. La musique c’est un art en mouvement. On peut même danser sur Mozart qui, avec Bach, était un rythmicien.


JeP
: Quelle musique vous fait pleurer ?

R.M. : Ce sont les musiques qui sont associées à une image comme au cinéma. S’il n’y a pas d’image je vais essayer de comprendre la musique comme elle est. Ou alors une musique qu’on a entendu dans son enfance, que l’on ré-entend des années après et qui nous rappelle un tas de souvenirs.


JeP
: Quelle musique vous fait horreur ?

R.M. : Je suis systématiquement contre ce qui est mauvais ou trop facile. On entend des chanteuses, dès qu’elles commence à chanter il n’y a rien. Celui qui joue du piano, même s’il essaye de jouer quelque chose de routinier, il joue déjà quelque chose. Mais on entend trop de choses sans consistance et insignifiant. Pour moi ce n’est pas bon.

C’est objectif en ce qui concerne la musique, on peut dire quand une musique est mauvaise ou mal jouée et personnellement je ne me gène pas pour le dire.
Si vous n’avez pas d’esprit critique dans la vie, vous trouvez tout mièvre. Quand on ne se rend pas compte de ce qui est beau par rapport à ce qui est laid, c’est grave !


JeP
: Qu’est-ce qui vous fait rire ?

R.M. : A bien rire j’aime les pitreries car il n’y a pas d’intelligence. On rit un bon coup et puis c’est tout. Il y a des musiques que l’on apprécie simplement et qui nous rendent heureux et nous font sourire.


JeP
: Quelle composition auriez-vous aimé écrire ?

R.M. : J’aurais voulu savoir écrire la musique comme Scriabin qui a composé Prométhée. Il y a un “accord de Scriabin”, bien particulier et il a composé autour de ces notes. Il faut avoir une formation terrible pour écrire comme ça, figer sur la partition ce qu’a écrit Chopin par exemple.
Si l’on prend le quatrième prélude de Chopin, c’est une seule page ! C’est classique mais si l’on harmonise ça c’est incroyable. J’admire ces compositeurs. Pour arriver à avoir cette conscience universelle, c’est magnifique et là je me sens tout petit.


JeP
: Auriez-vous voulu faire autre chose en plus de la musique ?

R.M. : Je m’en suis toujours voulu de ne pas savoir peindre. On peut peindre avec un doigt, sans même passer par le pinceau, c’est soi-même, c’est très physique. Tandis que pour la musique on est obligé de passer par un instrument. Malgré tout je n’ai pas fait une maladie de ne pas savoir peindre.


JeP
: Avez-vous un souvenir marquant en tant que spectateur ?

R.M. : Quand j’étais au conservatoire j’allais à l’opéra où j’allais surtout quand il y avait de grands interprètes. Là j’ai vu qu’il y avait une dimension harmonique incroyable. Dans Puccini la tonalité change à chaque mesure, que ce soit dans La Bohème, La Tosca, Turandot. Et ces étagements de tonalités, ça m’a beaucoup apporté dans le jazz.


JeP
: Et un souvenir marquant en tant que musicien ?

R.M. : Benny Watters (ndlr : saxophoniste 1902-1998) jouais à la Cigale à Paris et il est venu jouer dans le midi. Nous avons fait une séance ensemble. C’était la première fois que je jouais avec quelqu’un de renom. J’ai vu comment il jouait et j’ai été impressionné par sa présence. Il a dit au bassiste “bon pianiste”. Je ne vais pas me gargariser mais quand même venant de lui cela m’a touché.


JeP
: Avez-vous un livre de chevet ?

R.M. : A une époque j’étais embarqué sur un bateau pour jouer. Il y avait un livre de Malraux, “La condition humaine”, où il y avait des formules qui étaient magnifiques comme : “On ne possède d’un être que ce qu’on change en lui”. Je l’ai gardé longtemps.
Aujourd’hui je n’ai plus tellement le temps de lire. Dès que j’ai un moment je me mets au piano.


JeP
: En toute modestie quelles sont vos qualités de musiciens ?

R.M. : Je ne veux pas parler de technique. C’est un grand mot pour moi. J’ai un semblant de dextérité. Mais je dirais le tempérament. Cela ne veut pas dire que j’arrive à canaliser ce tempérament. Pour cela il faudrait tourner constamment. Mais j’ai une certaine capacité d’adaptation après que je me sois habitué à des musiciens pour savoir où j’en suis. Parce que seul on sait où on en est mais à plusieurs c’est plus déterminant. Parfois on joue seul pendant un moment et on ne sait pas où on en est et cela amène à douter de soi. C’est normal.
Quand je parle c’est avec enthousiasme mais en tant que musicien j’ai souvent douté de ce que je faisais. Un peu comme Ben (ndlr : Aronov). Je sais que vous l’avez interviewé récemment. C’est un très grand, comme certains, avec la culture avant même la notoriété.


JeP
: Et vos défauts ?

R.M. : Je crois connaître tous mes défauts. Mais je crois que les défaut on les a depuis la naissance. L’essentiel c’est de les contourner pour éviter d’y plonger !
JeP : Votre compagne Christiane est très présente à vos côtés. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

R.M. : Elle m’a téléphoné un jour car elle cherchait un professeur. Elle avait vu plusieurs enseignants et cela ne correspondait pas à ce qu’elle voulait. Elle est venu chez moi et m’a dit “Ca y est j’ai trouvé !”.
JeP : Elle est également impliquée avec vous au sein de l’association Art-Expression à Saint Cannat. Cette association semble très active et proposer beaucoup d’activités. Quelles sont-elles ?

R.M. : Il y a des cours particuliers en piano, guitare, saxophone, batterie, trombone.
Je m’occupe aussi d’une classe de chant à plusieurs voix et je fais travailler plusieurs groupes en classe d’ensemble.
JeP : Vous êtes le fondateur de Jazz à Beaupré, un des évènements majeurs de l’été dans la région. Pouvez-vous nous parler de ce festival ?

R.M. : Nous avons commencé le festival dès que je suis arrivé à Saint Cannat, dans les carrières de Rognes. Nous y sommes restés trois ans. Mais c’était gênant car d’une part c’était trop grand et d’autre part la logistique était trop lourde à assurer. Donc ensuite nous avons poursuivi à Beaupré où ce sera là) dixième année en juillet prochain.
Nous avons fait venir des artiste de renom comme Elvin Jones, Kerry Baron qui est venu deux fois, le batteur Barry Altschul,

Je suis à l’origine du Festival et je reste là pour la programmation mais Christiane fait beaucoup, l’organisation, les relations et elle m’aide également pour les choix car il y a des critères à respecter pour que les artistes correspondent au profil de notre programmation. Il y a beaucoup de demandes, d’excellents musiciens. Pour certains si vous les écoutez en club ça va mais dans un festival c’est autre chose. Kenny Baron vous pouvez l’écouter en club et en festival !
JeP : Avez-vous d’autres projets en cours ou à venir ?

R.M. : Principalement de continuer avec l’association. Vous savez il y a une basse de régime avec la crise depuis trois ans. Les gens sont moins enclins à venir comme avant. Mais je suis confiant et je pense que cela va repartir. Alors nous continuons.
JeP : Voulez-vous faire passer un message à nos lecteur ?

R.M. : Initiez-vous à la musique en général et au jazz en particulier. C’est quelque chose de magnifique, de divin. Il faut la connaître, la pratiquer pour avoir cette joie, ce bonheur. Moi je suis un passionné depuis ma tendre enfance et probablement trop passionné par certaines choses. Du coup je suis heurté par certaines choses qui ne méritent pas d’être. Je suis habitué à voir la musique à son paroxysme, même si je n’arrive pas à l’atteindre moi même. Mais je le sens. Et quand je vois que des gens se délitent en faisant autre chose cela m’attriste.

Vous vous rendez compte qu’avant, dans les familles il y avait toujours un piano. Il y avait de grandes marques comme Pleyel mais aussi des marques moins connues et les gens pratiquaient. Et même quand on ne jouait pas de pianon il y avait un piano à la maison. Maintenant on entend de tout mais peu de gens pratiquent la musique comme il se doit.
Je comprends qu’un jeune aime le rock, pour bouger par exemple. Mais à un moment il faut avoir d’autres ambitions. Il faut pratiquer la musique, écouter ce qui est beau.

J’ai cette appartenance à la musique de Jazz. Elle m’appartient peu mais je la pratique depuis mon plus jeune âge et j’en ai fait mon métier.
JeP : Roger, merci encore de nous avoir reçu et pour vous être livré de façon aussi sincère et spontanée.

R.M. : Merci à vous.

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                                                             Crédit photo : Jazz en Provence