Ben Aronov à Saint-Cannat le 13 octobre 2013

Interview réalisée par Jazz en Provence le dimanche 13 octobre 2013 à l’occasion d’un concert public à Saint-Cannat ben_aronov

JeP : Bonjour Ben ! Merci de nous recevoir après votre concert et d’avoir accepté de répondre à nos questions.

B.A. : C’est avec plaisir !

JeP : Les lecteurs de Jazz en Provence peuvent consulter votre biographie de musicien qui détaille bien votre période américaine. Mais on en sait peu de vos activités depuis votre installation en France il y a dix ans maintenant. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

B.A. : Lorsque je suis arrivé en Europe j’ai travaillé un peu en Angleterre avec Ken Peplowski avec qui j’ai fait une tournée. Puis j’ai joué avec Bennie Wallace en 2003 en arrivant en Europe. Nous avions un groupe avec Alvin Queen à la batterie et NHOP à la contrebasse. Nous avons fait quelques concerts.  Ensuite NHOP est décédé et le groupe s’est arrêté. Alvin Queen a continué de son côté avec beaucoup de groupes américains car il était disponible pour voyager en Europe. Une très bon batteur.

C’est grâce à Benny Wallace que j’ai rencontré rencontré le producteur espagnol Jordi Sunol qui s’occupait de Phil Woods. J’ai alors joué au sein du Phil Woods String Quartet.
C’était une série de concert hommage à Charlie Parker avec un orchestre symphonique et des arrangements fait par Phil Woods pour adapter la musique aux cordes. Nous avons fait cela pendant deux ans, les week-ends, partout en Europe. Mais rien en France, à part Jazz in Marciac !
Il n’y a pas eu d’enregistrement mais des émissions à la télévision que l’on peut trouver facilement sur Youtube.

Quand je suis arrivé en France je ne connaissais personne. Mon ami Bob Dorough connaissait Claude Carriere qui m’a appelé pour me proposer d’organiser un concert en piano solo à Avignon avec son ami Jean-Paul Ricard. Claude Carrierre est venu de Paris et le concert a été enregistré et diffusé en direct sur France Musique. Cela m’a rendu assez nerveux et j’ai même oublié de jouer une de mes compositions que j’avais prévu ! Mais le concert s’est bien passé.
C’est comme ça que cela a commencé comme ça en France.

Ensuite j’ai fait une série de concerts en duo à deux pianos avec Roger Mennillo. J’ai joué aussi au Festival de Beaupré, une fois en trio avec Reggie Johnson et Keith Copland, et une autre fois en duo avec George Mraz.

JeP : Justement ce soir vous avez joué en quartet avec Ulrich Wolters (saxophone), Isabelle Aillaud Le Roy (contrebasse) et Carl Bouchaux (batterie). Vous étiez invité par Roger Mennillo et son association Art-Expression que les lecteur de Jazz en Provence connaissent bien. Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Roger Mennillo ?

B.A. : En 2006 J’ai lu dans la Provence que Red Drummond, un ami contrebassiste, jouait avec Roger Menillo, que je ne connaissait pas. Je suis allé au concert et c’est comme cela que j’ai rencontré Roger. Ensuite l’association Art Expression m’a invité pour un concert où j’ai pu échanger avec Roger et Christiane Mennillo. Roger a alors proposé que nous fassions des concerts en duo à deux pianos. Nous avons fait quelques concerts comme ça et nous avons gardé une très bonne relation depuis. Nous nous voyons souvent.

JeP : Vous avez joué avec un grand nombre d’excellents musiciens, notamment aux États-Unis. Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marqué ou le plus touché tout au long de votre carrière de pianiste ?

B.A. : En premier je dirais Zoot Sims car même s’il n’est pas très connu, il avait une âme incroyable.
Jimmy Rowles était aussi un bon ami. J’ai travaillé beaucoup de choses de Jimmy Rowles. Il utilisait beaucoup d’espace dans la musique, pas trop de notes. Parfois il laissait le batteur et le contrebassiste  continuer, il réfléchissait puis il trouvait quelque chose…

J’adore Fats Faller depuis que j’ai 13 ans. Il était amusant et c’était un excellent pianiste et chanteur.
Il y a aussi Tommy Flanagan, Bill Evans, et bien entendu Hank Jones.

Hank avait quelque chose de spécial : il acceptait toutes les offres qu’on lui faisait pour jouer. Et quand le concert approchait, pour éviter les conflits, il appelait quelqu’un pour le remplacer. C’était son mode opératoire car il était très versatile, il pouvait s’adapter à toutes les situation.
En ce temps-là il n’était pas encore une grande étoile pour le public mais il était très recherché car il jouait très bien le jazz, il lisait et on le réclamait même pour la pop musique.
Il m’appelait souvent pour le remplacer.

JeP : Comment se sont faites toutes ces rencontres ?

B.A. : Dans les années 60 j’avais un boulot à New-York ou j’ai commencé à jouer en solo. C’était au “Lost and Found”, sur Lexington Av, Midtown. Pas vraiment un club de jazz mais plutôt une boite ou les gens se rencontraient.

J’ai invité Reggie Workman, le contrebassiste, à jouer avec moi. Ensuite Reggie a envoyé beaucoup de contrebassistes formidables comme remplaçants.
Grâce à ce travail j’ai pu rencontrer et jouer avec beaucoup de musiciens, noirs pour la plupart, que j’admirais. : Cedar Walton, Kenny Baron, Jackie Bayard et tous les jeunes pianistes de l’époque car tout le monde cherchait du travail et c’était une boite sans restrictions sur la musique et où l’on pouvait jouer tout ce qu’’on voulait.
Tout le monde voulait jouer là car les musiciens étaient payés tout de suite et c’était facile.

Il y avait aussi Airto Moreira, le percussionniste brésilien, qui arrivait juste à New-York, venait jouer avec moi car il n’avait pas encore de travail. Il a même habité avec moi pendant un moment car il n’avait nul part où aller. Il venait jouer et amenait des tas de musiciens qui voulaient jouer, mais lui on lui donnait à manger ainsi que Flora, sa compagne.

C’était marrant. Ce n’était pas club de Jazz officiel Il y avait souvent des duos mais ça attirait beaucoup de monde et le patron aimait ça alors il laissait faire.
Je m’en suis occupé environ deux ans et après ça j’ai eu une offre pour jouer à Broadway dans une comédie musicale. C’était bien payé avec une assurance maladie, une pension, un vrai travail pour un musicien ! Cela m’a apporté une sécurité.

J’ai aussi accompagné énormément de chanteuses. En premier June Christy, puis Peggy Lee , Lena Horne, Liza Minnelli, Astrud Gilberto, etc. L’accompagnement des chanteuses a constitué une grande partie de ma carrière.

JeP : Et vos rencontres importantes en France depuis que vous y êtes installé ?

B.A. : Une de mes premières rencontre était avec Philippe Levan qui est formidable.  Nous n’avions même pas répété et cela a fonctionné tout de suite. Nous jouions avec Didier Del Aguila à Cairanne dans les vignes au mois de septembre.

Les musiciens locaux qui m’appelaient pour jouer m’avaient impressionné. Par exemple un jeune saxophoniste, Ugo Lemarchand, qui est très intéressant.
J’avais alors une grande maison et c’était plus facile pour se retrouver avec des musiciens.

Il y a également Pierre Christophe car mon beau-frère était ami avec ses parents et nous avions fait tous les deux la Manhattan School of Music à New-York. Pierre Christophe avait un concert à Doom et Pierre a dit “nous avons un pianiste américain dans la salle qui va vous jouer quelques morceaux”. C’est comme ça que Cédrick Bec m’a entendu la première fois.

Ensuite un an après Raphaël Imbert que j’ai été écouter au club Doum et aux carrieres de  Rognes m’a présenté Cédrick.
J’ai beaucoup apprécié Raphaël Imbert mais je n’ai pas joué avec lui.

En fait, je connais beaucoup de musiciens américains qui vivent en France mais peu de musiciens français.

JeP : Votre ressenti est-il le même quand vous jouez avec des musiciens en France et aux Etats-Unis ?

B.A. : La musique est la même pour moi. Bien sûr à New-York il y a la possibilité de jouer tous les soirs. Ici c’est plus difficile.

JeP : Comment vous voyez-vous en tant que pianiste ?

B.A. : Je suis tout d’abord un pianiste de Jazz Post-bob mais j’aime aussi jouer free dans des situations sincères avec des musiciens qui ont des “antennes”.
Je pratique également la musique classique car j’aime énormément ça. J’aime Ravel, Mozart, Prokofiev bien sûr, Debussy, Chopin et Schoenberg dont j’ai quelque morceaux mais qui est difficile.

JeP : Vous jouez plutôt un jazz traditionnel. Quelle est votre avis sur l’évolution du jazz actuel (jazz binaire, mesures impaire, harmonies plus complexes) ?

B.A. : Ce n’est pas ma musique, personnellement je préfère le swing, mais c’est intéressant. J’aime bien Wayne Shorter et ses compositions. Wayne Shorter et Herbie Hankok jouent plus binaire maintenant. Avant c’était swing.
Le binaire est une situation intéressante pour jouer mais pas pour toute les musiques. Par exemple Miles Davis a rejeté complètement le swing dans les années 70. J’était déçu car je pense que ce n’était pas nécessaire de tout rejeter comme il l’a fait. Mais Miles Davis était Miles Davis et on ne peut pas argumenter là-dessus ! Mozart est Mozart, c’est pareil.

Il y a aussi ce jeune saxophoniste américain, Chris Potter, que je trouve très intéressant comme musicien. Et il y a beaucoup de musiciens comme ça qui ne sont pas de grandes vedettes car c’est une musique pour un public particulier. Ce n’est pas populaire, c’est sérieux, pas pour l’argent mais pour la musique.

JeP : Comment voyez-vous l’avenir du Jazz ?

B.A. : Ce n’est ni bien ni mal, c’est quelque chose qui arrive et il y a toujours des individus qui sont imaginatifs et artistiques qui trouvent quelque chose à faire.
Mais je n’ai pas vraiment de vision de l’avenir car je suis dans les présent.

JeP : Quels conseils donneriez vous au pianistes amateurs ou professionnels de Provence qui vont lire cette interview.

B.A. : Ecoutez ! Ecoutez la musique avec laquelle vous avez un vrai feeling, celle qui vous touche, et essayer de la comprendre la musique et de chercher pourquoi cela vous touche. On est touché par la musique en fonction de ses expériences dans la vie, depuis l’enfance. Chacun a sa propre expérience et ça a une influence directe sur son ressenti.

Il faut aussi parfois se forcer à écouter les grand musiciens. Au début je ne comprenais pas la musique de certains musiciens bien connus. Par exemple je n’appréciait pas Earl Hines jusqu’à peut-être trois ans avant de venir en France. Pour moi cela n’était pas intéressant comparé à Art Tatum ou d’autres. Mais je trouve maintenant Earl Hines très original et intéressant.
C’est toujours comme ça. C’était la même chose quand j’ai entendu Charlie Parker pour la première fois.
C’est naturel car les grands musiciens ne sont pas faciles à comprendre au début car ils font quelques chose de différent des autres musiciens.

JeP : Quel est l’album dont vous êtes le plus fier ?

B.A. : C’est sans aucun doute Alone Together, en duo avec Jay Leonhart (contrebasse).
Il a été Nous avons enregistré ça en 1982 dans un immense studio à New-York, le plus grand, qui servait aux orchestres symphoniques.
Mon ami Roger Rodhes, ingénieur du son, enregistrait énormément à cette époque. Nous avons enregistré à minuit et j’étais très relax. C’était très spontané.

L’enregistrement est resté dans un tiroir jusqu’en 2006, date à laquelle Roger l’a entièrement remasterisé avec un procédé qui permet de retrouver une qualité extraordinaire. Le travail qu’il a fait est incroyable et c’est vraiment un très bel album.

JeP : Votre dernier album “Falling Grace”, en trio avec Vincent Strazzeri (contrebasse) et Cédrick Bec (batterie), qui date de 2009, a été présenté récemment sur Jazz en Provence. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

B.A. : C’est le seul de mes albums réalisé en Provence. Il s’appelle Ben Aronov Trio mais nous avons tous les trois contribué à cet album. C’est un travail collectif.
Il y a quelques unes de mes compositions mais également des standards avec des arrangements.

JeP : Merci infiniment Ben d’avoir pris le temps de répondre à nos questions et de l’avoir fait en français !
Merci également à Nicole, votre épouse, pour son aide et son accueil.

B.A. : Merci à vous.

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Crédit photo : Yves Dussauge